Table ronde « Harcèlement(s) sur le plateau : que faire ? »

La table ronde « Harcèlement(s) sur le plateau : que faire ? » a eu lieu le vendredi 17 janvier dans le cadre du Production Forum. Cette table ronde a réuni Sabine Chevrier (MAD), qui a coordonné le groupe de travail sur le harcèlement au sein des différentes associations professionnelles, Didier Carton (délégué général du CCHSCT Cinéma) et Louise Lebecq (Déléguée affaires sociales du SPI). Perrine Quennesson revient avec Baptiste Heynemann, délégué général de la CST qui a modéré la conférence, sur les enjeux de cette table ronde.

Perrine Quennesson : Quel a été l’élément déclencheur du sujet sur le harcèlement lors des tournages pour cette table ronde inter-associations professionnelles ? 

Baptiste Heynemann : La prise de parole d’Adèle Haenel en octobre 2019 a été un véritable agent déclencheur. Cette prise de parole était originale parce qu’elle était l’une des premières, si ce n’est la première prise de parole en France sur le thème du harcèlement sexuel sur un plateau de tournage. Evidemment, nous avons reçu, en France, les témoignages venant des Etats-Unis, les « affaires » Harvey Weinstein, Woody Allen, ou Kevin Spacey, mais Adèle Haenel était la première prise de parole française qui avait réussi à faire résonner les médias et à attirer l’attention.  C’était aussi une façon de montrer que le secteur français n’était pas épargné par ce phénomène, alors qu’il était resté, contrairement au reste du monde, curieusement silencieux suite aux affaires précédentes. Alors que très rapidement, au Canada, en Angleterre et dans beaucoup d’autres pays, il y a eu des réflexions, des alertes et même parfois de nouvelles affaires, le secteur français se taisait, comme si on était dans une espèce de parenthèse un peu enchantée, où tout allait bien sur les tournages, et où absolument rien de ne passait. De notre côté, en tant que technicien ou professionnel du cinéma, on se demandait quand est-ce qu’il allait se passer quelque chose, parce que cela ne semblait ni très logique ni très cohérent. Et, effectivement, les déclarations d’Adèle Haenel et sa prise de parole courageuse, ont commencé à craqueler le secteur français. 

On est aussi dans la prolongation des travaux effectués par le collectif 50/50, qui évoquaient jusqu’à présent beaucoup l’égalité des parcours et le fait que les femmes et les hommes doivent avoir la même chance de réussite dans l’épanouissement de leurs carrières professionnelles.   Un groupe de travail s’est donc réuni dans les locaux associatifs de la CST avec comme objectif de rassembler les expériences, les travaux et les réflexions qui avaient été menés, en particulier, par le collectif 50/50, Les Femmes s’Animent, Les Femmes à la Caméra, et les différentes associations professionnelles. 

Quel est l’enjeu de cette table ronde ?

L’enjeu est de montrer les éléments de diagnostic que nous avons pu identifier et quelques pistes de solutions qui commencent à être envisagées. On souhaite être concret, montrer comment on peut faire avancer les choses et sortir de ce mur du silence. En analysant les retours, on se dit que l’on doit assumer collectivement que les secteurs cinématographique et audiovisuel sont particulièrement propices à la naissance de situations de harcèlement, que ce soit de harcèlement sexuel ou de harcèlement moral. Et une fois qu’on tient ce postulat, on doit chercher les solutions pour y remédier. Nous avons également posé que les situations de harcèlement surviennent avec une multitude infinie de combinaisons : un homme envers une femme, mais aussi un homme envers un homme, une femme envers un homme, une femme envers une femme, qu’il s’agisse de comédiens, techniciens, chefs de poste ou non. Nous travaillons en mode projet, sur des temps qui sont très courts, très resserrés, avec un niveau de stress important. Nos équipes sont hiérarchisées avec des personnes qui sont des personnalités de pouvoir, que ce soit un réalisateur, un producteur, un directeur de production ou un chef d’équipe. On peut se retrouver avec des personnes qui ont dans leurs mains quelque part le droit de travail ou de non-travail sur quelqu’un d’autre. Le harcèlement en général est une « pathologie de l’isolement ». Or, sur un film, les équipes peuvent être très éclatées : l’équipe déco qui ne travaille pas au même rythme que l’équipe plateau, la postproduction qui également en décalé, etc.  Les gens sont de plus en plus seuls et cela provoque des situations propices à ce type de comportement. 

La deuxième question est celle de la responsabilité. Qui est responsable de la naissance de cette situation de harcèlement ? Il y a d’abord la responsabilité légale « individuelle » de l’employeur, producteur ou directeur de production avec ses conséquences en termes pénal ou civil. Et puis la responsabilité du collectif. Si le harcèlement est une pathologie de l’isolement alors comment faire pour que l’isolement de la victime cesse et cela grâce à l’implication du collectif, pour entrainer, on le souhaite, l’isolement du harceleur. Aujourd’hui, trop souvent, la solution apportée à un phénomène de harcèlement moral ou sexuel sur un tournage, c’est une extraction de la victime. Certes, c’est l’obligation première de l’employeur : faire cesser la situation dès qu’il en a connaissance. Mais la solution est également d’écarter la victime, de lui payer ses heures en lui disant merci. Dans certains cas extrêmes, on ne l’emploie plus car elle a osé parler. Mais cette solution n’est pas du tout satisfaisante, car c’est l’agresseur que l’on devrait écarter !

Une fois que l’on a posé ces éléments de diagnostic, on y va ! Dans les solutions, rien n’est évident mais on pense à la généralisation de la formation / sensibilisation (qui est responsable, comment reconnaître, comment agir), aux chartes professionnelles, aux rappels sur les contrats, qui sont importants car ils précisent la responsabilité de l’employeur. Ensuite, la mise en place de lignes vertes, des lignes d’écoutes, des référents sur les plateaux, etc. Tous les systèmes qui vont être mis en place ont pour but deux objectifs à notre sens : d’une part, décourager le harceleur potentiel et, d’autre part, donner suffisamment de courage à la victime et aux témoins pour pouvoir agir. Il faut créer de la confiance. C’est le fait d’avoir suffisamment de confiance dans le système en général, dans ses collègues, dans le collectif, qui permettra aux gens de se dire « Non, une situation de harcèlement moral ou sexuel n’est pas une situation normale. Il faut que cela cesse. Ce n’est pas excusable sur un plateau de tournage aujourd’hui ». 

Retrouvez l’intégralité de la table ronde sur la page facebook Au Cul Du Camion.

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