Jean Rabasse, chef décorateur « Notre-Dame brûle »
Rencontre avec Jean Rabasse chef décorateur.
Les principaux défis sur le tournage de Notre-Dame brûle ?
La première chose, notre première difficulté, ça a été de trouver les plans de Notre-Dame. Ça a l’air simple, ça a l’air bête mais en fait on ne trouvait pas les plans. Déjà parce qu’il existe les dessins de Viollet-le-Duc mais qui sont des dessins de concours, qui sont pas la réalité de Notre-Dame, ce sont les intentions qu’avait Viollet-le-Duc pour le concours de 1840 ou 42. Donc il a fallu les trouver ces plans, il a fallu aller voir, alors on a eu de la chance, on a la bibliothèque du patrimoine qui nous a beaucoup aidés, qui nous a passé des scans, des dessins originaux, mais c’est un travail de documentation extrêmement lent, on était vraiment dans un niveau de recherche très très particulier. Puis, après ça a été de travailler avec les architectes de Notre-Dame, de voir comment on pouvait travailler avec eux ou pas. Toutes ces négociations étaient assez longues. Et puis à la fin on a eu le CNRS qui a été extraordinaire avec nous et qui nous a prêté tous les points 3D, il faut imaginer ce sont des millions de points 3D de
Notre-Dame qu’on a exploité comme on pouvait et à un moment donné, quand on a fait la somme de toutes ces recherches, de toutes ces difficultés, ça a été de se dire on va créer notre Notre-Dame qui va être la plus proche possible de la vraie mais qui est aussi un décor de cinéma, qui doit être aussi pratique, intéressante à l’image donc il y a des fois soit des simplifications soit des ajustements. Un petit détail par exemple. Le beffroi de Notre-Dame, le vrai, a été construit au 19e par Viollet-le-Duc, est intéressant mais ce n’est pas le plus sexy qu’on ait vu. On a beaucoup visité de cathédrales avec Jean-Jacques et on a vu beaucoup d’autres beffrois et quelques fois de plus beaux beffrois alors j’ai pas peur de le dire mais c’est vrai que par exemple le beffroi de la basilique Saint-Denis est extraordinaire, celui de Sens, Bourges… donc j’ai redessiné le beffroi de Notre-Dame le plus justement possible mais avec des intentions de déco, c’est-à-dire que là où c’est intéressant c’est que c’est à la fois extrêmement réaliste et à la fois les sections sont plus épaisses, la patine est plus forte et tout ça c’est un mélange de différentes documentations, de différents beffrois pour faire le nôtre pour qu’il soit plus spectaculaire. Un autre détail c’est que dans le tour Nord les cloches font entre 1m et 1m50 de diamètre, il y a différentes tailles. Alors que dans la tour Sud, il y a deux bourdons qui font 2m50, 2m80 de diamètre et pour le film on a triché, on a mélangé le bourdon et les cloches de Notre-Dame parce que c’était plus spectaculaire. L’idée n’étant pas de faire plus de spectacle, l’idée étant de donner plus d’enjeu, plus de danger à la scène. Quand on est au milieu de ces flammes et tout risque de tomber, c’est vrai que c’est plus spectaculaire avec une cloche de 2m50 qu’avec une cloche d’1m. Donc c’est à la fois très précis ce qu’on a fait, on a vraiment été toujours très juste dans la reconstitution, très précis, très technique et à la fois ça reste du cinéma et on fait du décor, on essaye de rendre tout ça plus spectaculaire encore.
Quelles productions vous ont marqué dans votre carrière ?
Tous les films sont particuliers, tous les films sont des expériences. Je pense que beaucoup de décorateurs sont comme ça mais moi je sais que je pars toujours de zéro à chaque film, je veux changer de style, je veux changer de type de cinéma, j’adore faire des petites productions mais tellement extraordinaires avec Gaspar Noé ou avec Louis Garrel et faire d’énormes productions comme avec Jean-Jacques ou “La Cité des enfants perdus”, ou “Jackie” qui était un enjeu incroyable où on a reconstitué la Maison Blanche en huit semaines. Oui c’est ça on avait dix semaines de préparation pour construire tout un étage de la Maison Blanche en sachant qu’on commence avec rien. Je ne savais même pas où était le Bureau ovale dans la Maison Blanche au début de la préparation et dix semaines plus tard on tourne dans la salle à manger où on a reconstruit des lustres de 3m de haut introuvables et il a fallu tout construire, en faisant faire de la construction à Paris, à Budapest, à Hong Kong. C’est un travail de fou, d’urgence donc chaque film est différent, particulier. Il y a des films avec beaucoup de création, il y a des films ou au contraire il faut beaucoup retenir. Là je suis en train de tourner un film de Louis Garrel et on est au contraire très dans la retenue, on essaye d’être le plus réaliste possible et à la fois de faire une belle image. Chaque film est particulier, c’est ça qui est beau dans ce métier, c’est que c’est à chaque fois une nouvelle histoire qu’on construit avec le metteur en scène.
Pour ou contre des décors écoresponsables ?
C’est devenu un enjeu. Voilà on est tous conscient des enjeux climatiques, écologiques et notre métier, surtout à la déco, c’est un enjeu de pollution, c’est un enjeu aussi d’utilisation des ressources. C’est vrai que sur Notre-Dame par exemple, on a essayé d’éviter au maximum tous les matériaux de synthèse, on a très peu utilisé de polystyrène. On a vraiment fait attention à ça et ce qui est assez beau et assez rassurant, c’est qu’en fait ça nous a obligé à revenir à des techniques traditionnelles, d’utiliser du bois, du plâtre, de l’acier et d’éviter tous les matériaux de synthèse. Et ce que ça a permis aussi le fait d’utiliser des matériaux aussi simples, c’est qu’on a pu revendre une partie des décors, tout recycler ça forcément, aucun matériau n’a été jeté comme ça dans les poubelles. Tout a été recyclé mais aussi on a beaucoup revendu les décors. Déjà sur “Jackie” on avait réussi à revendre toute la construction à un milliardaire chinois qui voulait avoir sa Maison Blanche. On a tout vendu, tout est parti là-bas. Alors oui il y a le transport mais ça veut dire que rien, enfin pas rien mais au maximum de ce qu’on pouvait, on a pu recycler. Et sur Notre-Dame la tour en bois qui fait 13m de haut, on a réussi grâce à un intermédiaire américain à revendre, à démonter et à envoyer par bateau ce décor aux États-Unis qui a été remonté là-bas. Alors c’est vrai qu’il y a parfois un enjeu artistique qui nous oblige à ne pas diffuser certaines parties de décor mais quand on peut, on en a beaucoup parlé de ça parce que ça a été un vrai sujet de discussion sur la propriété intellectuelle, sur la protection de notre film mais aussi sur les enjeux écologiques. Donc c’est une vraie grosse préoccupation. Là où c’est assez facile d’être soutenu par la production c’est que ça a permis aussi de générer des revenus, on a revendu donc ces décors. Ça a permis de faire un démontage non pas sauvage comme on a pu le faire il y a 20 ou 30 ans. Je me souviens du village d’Astérix, le premier Astérix de Claude Zidi où tout avait été détruit à la pelleteuse et il y a eu un peu de récupération mais assez peu. On ferait plus ça maintenant donc je pense que c’est important de savoir que c’est long, c’est un processus qui est très long, il faut changer des habitudes, il faut changer aussi la manière de concevoir des décors mais c’est vrai que tout le monde, toutes les équipes sont conscientes de ça et c’est un effort mais c’est un effort qui vaut le coup de toute façon, on n’a pas le choix, il faut le faire. C’est vrai que ça va être long pour arriver à du zéro déchet, on en est très loin mais c’est vrai que par exemple sur Notre-Dame ça a été un gros enjeu et je pense qu’on a fait un beau travail de recyclage et de revente.
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