Laurens Ehrmann, superviseur VFX
Lauréat d’un Genie Award pour les meilleurs effets visuels, Laurens Ehrmann nous donne son point de vue sur l’état des effets spéciaux (VFX) en France, lors du Paris Images Digital Summit 2020.
Les VFX, ça va?
Vaste question ! Je dirais que le marché des VFX se porte plutôt bien. Il ya beaucoup de projets sur lesquels tous les prestataires interviennent pour des VFX mais c’est souvent pour des effets invisibles, des clean-up, des effets cosmétiques, ou autres. C’est vrai qu’il y a peu de très grands films
nécessitant beaucoup d’interventions VFX, avec des budgets très importants, pouvant faire travailler plusieurs prestataires. On a beaucoup de projets de petite ou moyenne envergure. Ça reste un marché qui se porte bien, qui fonctionne, mais ce n’est pas un marché ultra porteur encore, du fait peut-être de la frilosité des producteurs, des réalisateurs.
C’est pour cela que The Yard, votre société, est assez tournée vers les projets internationaux comme Le Mans 66 ?
On a été sur Le Mans 66, mais aussi sur Minuscule, qui est un film moitié animation, moitié VFX, qui nous a pris deux ans de notre existence. De par le passé, nous avons travaillé sur plusieurs projets internationaux, que ce soit X-Men First Class, Les Schtroumpfs 2, ou un film qui s’appelle Renagade, qui est un film produit par EuropaCorp, ou encore Beautiful Accident, qui est un film taïwanais. C’est vrai que l’on essaie de se tourner un petit plus vers l’international, vers un marché que peut-être certains prestataires français ne regardent pas encore, ou n’ont pas envie de regarder, ou ont du mal à regarder.
Pourquoi n’auraient-ils pas envie de regarder ce marché-là s’il y a finalement plus d’offre et plus de possibilités de travailler ?
Je pense que pour certains prestataires, il y a une envie de rester sur un marché qu’ils connaissent. Cela peut être dû aussi au manque de réseau et manque d’expérience pour accéder à ces projets internationaux. Je pense aussi à un point plus technique, que sont les certifications de sécurité TPN, que sont les Trusted Partners Network qui permettent d’avoir des discussions avec la majorité des studios américains. On est obligé de passer des certifications de sécurité pour être aux normes. Ça ne veut pas dire que cela déclenche les discussions mais c’est l’élément préalable pour que ces studios aient envie de discuter avec nous. Donc c’est vraiment quelque chose de très important. Peu, ou très peu, de studios ont ces normes de sécurité en France. Maintenant, ce n est pas facile, cela prend énormément de temps, il faut montrer patte blanche petit à petit, ongle par ongle.
Est-ce que vous pensez que les crédits d’impôts ont aidé ?
Oui et non. Les crédits d’impôt à 30% auraient dû nous aidé mais cela n’a pas été le cas. De mon point de vue, et de celui de la plupart de mes collègues prestataires, le crédit d’impôt français est trop compliqué. Et vue des producteurs extérieurs, c’est « une usine à gaz ». Il faut que l’on arrive à le simplifier pour que les producteurs étrangers n’aient pas à « se prendre la tête » pour avoir accès à ce crédit d’impôt-là.
Il y a des choses de bien qui ont été faites : on a réussi à avoir 30% par le passé., puis de nombreuses voix ont fait en sorte que l’assiette soit rabaissée a 250 000 euros, ce qui permet de toucher un nombre plus important de projets car aujourd’hui pas un seul studio international, et notamment américain, va venir dépenser 1 million de VFX dans une société française qu’il ne connait pas.
Maintenant, c’est vrai qu’il y un vrai travail d’apprentissage et d’éducation des producteurs américains, notamment des financiers, pour leur expliquer que ce n’est pas compliqué, que l’on peut trouver de solutions avec eux pour faire valider leurs projets.
Sur le passage à 40%, que l’on espère tous pour le début de l’été, je pense que cela va être une très bonne chose. Là encore, cela ne fera pas tout, ce n’est pas parce que l’on a un crédit d’impôt que forcément les producteurs voudront venir travailler avec les sociétés françaises, mais c’est un tout. En essayant de mettre toutes les bonnes pièces du puzzle au bon endroit, on devrait réussir à obtenir plus de projets internationaux en France. En tout cas, il faut que l’on soit beaucoup plus de prestataires à toucher ces projets-là car plus on sera, meilleure sera la visibilité de notre industrie française à l’étranger. C’est un effet boule de neige après. Par exemple, il y a presque trois ans maintenant, on a mis en place la section française de la Visual Effect Society (VES), qui est une association représentant les artistes. C’est vraiment l’autre côté de notre industrie : on a les prestataires d’un côté en France avec FranceVFX et on a les artistes de l’autre, avec la VES. Au départ, nous n’étions que 5 membres. Avec d’autres membres français, nous avons fait en sorte de rallier à notre cause d’autres membres pour arriver à 50, ce qui nous a permis de créer cette section française. Aujourd’hui, nous sommes environ 90. C’est une petite chose, mais cela permet aussi à l’international de montrer qu’il y a une activité.
Tout le monde sait qu’il y a nombreux talents en France, qu’il y a de très bonnes écoles, beaucoup de talents sortent de France et malheureusement partent directement travailler à l’étranger, mais c’est bien aussi de montrer qu’il y a une activité française de ce côté-là et que des choses se passent, se structurent bougent. Je pense qu’il faut avoir de nombreuses petites actions, comme ça, pour faire vivre cette activité. C’est de la communication, c’est du marketing, il faut promouvoir notre industrie.
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