Anne Seibel, Chef décoratrice

A l’occasion de l’Industrie du rêve 2020 et de la projection d’un film sur elle, Une femme au coeur de l’illusion, la chef décoratrice Anne Seibel revient sur son parcours et son métier.

Comment se retrouve-t-on dans un documentaire sur soi ? 

(Rires) Ce n’est pas moi qui ai décidé mais le réalisateur Tibo Pinsard avec qui j’avais déjà travaillé en tant que décoratrice, sur son court métrage. Gorilla se déroulait à Los Angeles dans les années 1950 dans le milieu du cinéma et des studios. On a tourné ça à Dijon avec 30 000€. Ce court métrage a fait la

tournée des festivals, obtenu 47 prix et presque était sélectionné aux Oscars. Cela nous a beaucoup rapprochés et, un jour, il a eu l’idée de faire un documentaire sur le métier de la décoration dont on ne connaît finalement pas grand-chose. Il m’a demandé d’être sa « décoratrice cobaye » notamment parce qu’il connaît ma passion pour la transmission – j’enseigne à la Fémis – car j’aime ce métier et je pense qu’il est important de préserver le savoir-faire. Je lui ai alors donné carte blanche ainsi que l’accès à tout ce dont il avait besoin comme les gens avec qui j’ai travaillé tels que mon mentor Rick Carter, le décorateur de Steven Spielberg qui m’a tout appris, et le dernier réalisateur avec qui j’avais travaillé à ce moment-là, Ralph Fiennes. 

La décoration est un des métiers les moins mis en avant du cinéma alors qu’il est essentiel et en plein changement notamment autour des questions environnementales. Comment faire pour le faire connaître davantage ? 

De mon côté, j’en parle dès que je peux. A la Fémis, mais aussi à l’occasion d’événements publics. Je réponds aussi à des interviews de journalistes pour les magazines ou à lors de remises de prix. Toute occasion est la bonne car je pense que tout passe par la transmission. 

Quand on regarde votre carrière, elle est principalement internationale, aux côtés de grands cinéastes comme Steven Spielberg, Sofia Coppola ou Clint Eastwood. Qu’est-ce qui a mené à ce choix de carrière ? 

En fait au départ c’est un peu de hasard. Je me suis retrouvé très jeune sur James Bond parce que je parlais anglais. Au départ je suis entrée en tant qu’assistante puis j’en ai fait un second parce que je m’étais bien entendu avec l’assistante dont j’étais le miroir, devenue ensuite une amie. Sur ce 2e James Bond, nous tournions au Maroc, il fallait parler français donc j’étais la bonne personne pour eux. Donc c’est par la langue que je suis arrivée sur ce métier. C’était rare à l’époque une femme assistante déco, plus maintenant mais à l’époque, si. Alors, après, les gens qui venaient à Paris faire des films ou des morceaux de films américains savaient qu’il y avait quelqu’un qui était architecte, qui dessinait et qui parlait anglais. Donc c’est comme ça j’ai pris ce tournant international dans ma carrière. Et il faut dire que le système anglo-saxon me convient beaucoup mieux. Ils sont moins latins (rires), c’est plus, il me semble, hiérarchisé. Et les chefs décorateurs sont bien plus mis en valeur dans les films anglo-saxons qu’en France. Dès que j’ai eu ma nomination à l’Oscar pour Minuit à Paris, les Américains m’ont pris par la main pour me faire grandir à leurs côtés, me proposer des projets, me donner un agent, etc… Ce qui m’a bloqué ensuite en France, car immédiatement on pensait que je serais chère. Il y a aussi une plus grande culture des décors à l’étranger, notamment en Angleterre, alors qu’ici nous sommes en train de la perdre. Je pense que c’est dû à la typologie des films. En France, on fait beaucoup de petits films naturalistes où l’on peut être chef décorateur en déplaçant trois meubles et en étant un peu accessoiriste. Pour moi, un chef décorateur, c’est autre chose, c’est quelqu’un qui construit des univers qui a le visuel d’un film dans la tête en collaboration avec un ou une cinéaste, ce n’est pas juste déplacer des choses. C’est savoir mettre en volume les images que l’on a en tête. Mais bon, ici, on est un peu considéré comme la 5e roue du carrosse.

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